Pas de présomption de solidarité passive en l’absence de dette commune entre codébiteurs – Application dans la cadre de la mise en jeu d’une GAP – Com. 24 janvier 2024 n°20-13.755

Cabinet CMC AvocatActualités droit des affaires

Il arrive que le créancier d’une obligation ait plusieurs débiteurs. Dans ce cas, le Code civil autorise le créancier à réclamer paiement au débiteur de son choix pour la totalité de la dette (art 1313 Code civil).

En matière civile cette solidarité ne se présume pas et suppose de ce fait une réelle volonté de la part des débiteurs (art 1310 Code civil : « La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »).

A l’inverse, en matière commerciale, la jurisprudence réaffirme régulièrement la règle coutumière selon laquelle, par dérogation à l’article 1310 du Code civil, il existe une présomption de solidarité passive entre codébiteurs. Ce n’est que si les codébiteurs excluent expressément la solidarité, que chacun d’eux ne sera pas tenu pour le tout.

Tel est le cas entre cédants de titres sociaux dont la cession emporte cession de contrôle de la société. Par un arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation réaffirme avec force cette règle selon laquelle, les codébiteurs d’une dette commerciale sont de plein droit solidairement tenus de son exécution. (Com. 30 août 2023, n°22-10.466).

Encore faut-il que les débiteurs cédants soient tenus à la même dette.

C’est cette précision que vient d’apporter la chambre commerciale de la Cour de cassation dans le cadre d’une cession de contrôle dans son arrêt du 24 janvier 2024, n°20-13.755.

Au cas d’espèce, par quatre actes distincts, quatre associés ont cédé 6 930 parts (99% des titres) à une société cessionnaire. Par un cinquième acte séparé, un des associés a cédé les 70 parts restantes au dirigeant de cette société cessionnaire. Chaque acte de cession comportait une garantie d’actif et de passif (« GAP ») au profit des cessionnaires.

Après réalisation du risque, les cessionnaires ont assigné les cédants au titre de la GAP concédée.

La Cour d’appel pour faire droit à la demande des cessionnaires de condamner solidairement les cédants à indemniser la société cessionnaire et son dirigeant, a retenu le caractère commercial de l’opération dans son ensemble et en déduit une solidarité entre les cédants. Elle a condamné solidairement les cédants à verser une certaine somme aux deux cessionnaires pris « ensemble » à charge pour ces derniers de se la répartir au prorata des parts sociales qu’ils ont respectivement acquises.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel pour violation de l’article 1202 ancien du code civil (remplacé par l’article 1310 cc) : « en statuant ainsi alors que M. C n’a acquis des parts de la société LNX que de M. R, de sorte que la solidarité dont bénéficie la société SATI envers l’ensemble des consorts V ne peut produite d’effet à son égard, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Pour les magistrats de la haute juridiction, si la société cessionnaire qui a acquis le quasi contrôle de la société cible à l’issue de l’opération de cession des titres bénéficie de la présomption de solidarité passive à l’égard des cédants, tel n’est pas le cas du dirigeant cessionnaire qui n’a acquis ses titres qu’à l’égard d’un seul débiteur.

 

1. Le bénéfice de la solidarité passive au profit de la société cessionnaire

Dans cet arrêt la Cour de cassation contrairement aux juges du fond fait bien la différence entre les deux opérations de cession de titres. Elle réaffirme la présomption de solidarité passive entre les cédants au profit de la société cessionnaire et l’exclut au bénéfice du dirigeant cessionnaire.

Pour rappel, une garantie d’actif et de passif permet de protéger le cessionnaire de titres sociaux contre une éventuelle augmentation de passif ayant une origine antérieure à la cession.

Également il convient de rappeler que la cession de titres sociaux constitue un acte civil qui exclut de ce fait l’automaticité de la solidarité entre débiteurs. Ce n’est qu’exceptionnellement, lorsque la cession de titres emporte cession de contrôle, que l’acte sera considéré comme commercial (Cour de Cassation, 28 novembre 1978, n°77-12.609) entraînant notamment comme conséquence la solidarité passive.

Dans les faits de l’espèce de l’arrêt du 24 janvier 2024, les associés ont cédé à la société cessionnaire près de la totalité des titres. C’est pourquoi, et la Cour de cassation et la cour d’appel ont caractérisé l’existence d’une cession de contrôle et en ont déduit une solidarité entre les cédants. De sorte que la société cessionnaire peut réclamer la totalité de la garantie de passif à l’un des cédants à charge pour ce dernier de se retourner par la suite contre ses codébiteurs.

 

2. L’exclusion du bénéfice de solidarité au profit du dirigeant cessionnaire

Contrairement aux premiers actes de cession qui liaient la société cessionnaire et les associés cédants, la Cour de cassation écarte la présomption de solidarité pour le dernier acte de cession intervenu entre l’un des associés uniquement et le dirigeant de la société également cessionnaire.

En effet, la Cour souligne que le dirigeant cessionnaire n’a acquis ses titres que d’un seul cédant. Il n’a ainsi qu’un seul débiteur, ce qui exclut toute possibilité de solidarité. Cette dernière suppose au moins deux débiteurs tenus également à la même dette.

La solution se conçoit aisément car le dirigeant cessionnaire n’avait aucun rapport d’obligation avec les autres associés qui ont cédé leurs titres à la société cessionnaire.

En plus de l’absence de codébiteurs, un autre élément fait défaut à l’application de la présomption de solidarité dans le cas d’espèce. Il s’agit du nombre de titres cédés (70 parts) qui ne permet pas une cession de contrôle sachant que cette dernière est la condition de l’application de la présomption de solidarité.

La cession de titres sociaux est une opération à fort enjeu tant pour le cédant que le cessionnaire. C’est pourquoi il est judicieux de se faire accompagner par un professionnel pour bénéficier de conseils avisés.

 

CMC avocats se tient à votre disposition pour toutes vos opérations de cession ou d’acquisition de titres sociaux, et plus largement vous accompagne sur tout ce qui a trait au Droit des sociétés.